La revue franco-ontarienne Virages, dont le 53e numéro devait sortir incessamment, vient d’annoncer qu’elle cesserait ses activités, faute de financement. Les nouvelles exigences du fonds d’aide aux publications de Patrimoine Canada l’ont exclue de la manne fédérale.
Ajout du 24 juin 2010: Marguerite Andersen, la directrice de la revue (elle-même chichement rémunérée), affirme à Radio-Canada -Toronto que Virages va poursuivre ses activités mais il manque 6000 $ au budget de fonctionnement annuel. J’ai modifié le titre pour refléter cette volonté.
À son honneur, Madame Andersen refuse catégoriquement de réduire le cachet des auteurs qui publient leurs nouvelles dans Virages. Elle évoque une réduction du nombre de publications par année, de 4 à 2 ou un.
Je reprends son message et lance un appel aux abonnements pour la seule revue francophone hors-Canada. Les nouvelles sont multigenres, assez courtes donc la lecture n’est jamais ennuyeuse.
Quant aux revues de l’empire Québécor et de Sélection du Reader’s Digest, qui tirent à des centaines de milliers d’exemplaires, vont continuer de recevoir leurs grasses subventions.
Je ne pose pas ici de jugement sur la qualité intellectuelle ou l’orientation politique des revues en question (je lisais des Sélection quand j’étais petite), mais la progression des journalistes et auteurs sera d’autant plus difficile. La marche vers la publication sera très haute, et elle apparait quasiment improbable dans des revues qui n’ont aucune vocation littéraire. Sans oublier qu’il faudra plaire au roi!
Le message qui sous-tend ces changements : si tu es riche, on t’aide, si tu es pauvre, débrouille-toi! Ou, plus prosaïquement, prend tes responsabilités! Un méta-message plus insidieux est le suivant : un artiste ou écrivain qui crève de faim va déployer des trésors de ressources et d’énergie pour s’en sortir. Regardez Vincent Van Gogh. Si il ou elle réussit, c’est par sa seule force de caractère et sa persévérance, un exemple qu’on ira ensuite claironner à tous les autres qui ont eu moins de succès.
Si l’artiste se décourage, décroche et passe le reste de sa vie dans un travail au bas de l’échelle dans le secteur des services, on applaudira l’effet de sélection sociale. Un béesseux de moins!*
On jette une poignée des graines sur l’asphalte et on leur dit: envoye, pousse!
Ça vaut pour les gens et pour les revues qui sont des véhicules de la pensée, porteurs d’idées originales, ou transmetteurs de préconceptions.
Une plante, pour se développer, a besoin d’eau, d’un bon terreau, d’un peu d’engrais ou de compost, et… de temps!
Exiger le génie instantané, un succès-minute, est irréaliste. Et ensuite renvoyer nez-à-nez les happy few du milieu artistique face aux autres qui bossent pour joindre les deux bouts, est simplement cruel.
L’année 2010 est l’année de la biodiversité. Or, cette biodiversité devrait s’exprimer dans la société.
Entre les graines jetées sur l’asphalte et les arbres bien entretenus qui font de l’ombre, entre les artistes qui en arrachent et ceux assis au sommet, il y a de la place pour une foule de situations intermédiaires. Sans rouler sur l’or ou atteindre un succès mondial, il existe des façons variées d’être et de vivre de son art, qui ne méritent pas le mépris que lui consacre le présent gouvernement.
Je salue bien bas tous les lecteurs et lectrices de cette chronique qui en arrachent. Lâchez pas!
…et bonne St-Jean-Baptiste !
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* (extrait de l’article de Rue Frontenac mis en ligne en février 2009) « Les données les plus récentes disponibles auprès de Patrimoine Canada démontrent que Quebecor a bénéficié d’une aide financière de 2,15 M$ depuis deux ans dans le domaine du magazine. Ces subventions ont été versées pour la création de contenu d’une quinzaine de magazines, dont
Le Lundi (173 042 $),
Écho Vedettes (254 774 $),
Dernière Heure (207 842 $),
Moi et Cie (93 353 $, uniquement en 2007-2008),
et Clin d’oeil (203 007 $). »
Alors, qui sont les vrais assistés sociaux?