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Grandeurs et misères de la table de dédicaces – 103

Michèle devenue célèbre (enfin!) récolte le fruits de ses labeurs
L'auteure en a bavé pendant des années pour arriver à son succès, mais son bon papa n'est plus là pour l'apprécier !

Cette BD est un hommage à mon père, Jacques Laframboise, qui nous a malheureusement quitté le 8 novembre 2014, au petit matin. Papa m’a toujours encouragée dans ce que je faisais, et a soutenu mes sœurs dans leurs projets. Hélas, il ne verra pas le résultat de ses bienveillants efforts.

Cette 103e page des Grandeurs et misères de la table de dédicaces lui est dédiée, avec gratitude.

Œuvrer au fond d’un trou

C’est un secret mal gardé dans le monde des artistes et des écrivains que certains récoltent la gloire dès leur première oeuvre et accèdent au statut d’incontournable, tandis que d’autres, ben… Je me souviens encore de la foule de journalistes qui s’est retirée quand mon tour était venu de parler en public, juste après une adolescente de 14 ans qui avait commis son premier roman. Oui, j’avais éprouvé une sensation de vide en dedans.

Je ne souhaite à personne de travailler sans reconnaissance. Comme m’avait dit un jour Jim Corcoran: « je suis dans le relève depuis 30 ans ». J’envie toujours les auteurs comme Michel Rabagliati qui a eu une audience large et immédiate du premier coup. Incontournable. Pianissimo, mon meilleur album de BD à l’époque, était passé dans le beurre.

Je travaille au fond d’un trou médiatique depuis plus de trente ans.* Auteure invisible et contournée. Pas d’invitation à participer à des collectifs de BD. Refus multiples. Pas d’articles dans la presse, même quand je suis finaliste au prix du GG et au prix Trillium (j’ai eu une entrevue comme finaliste, mais seule celle du récipiendaire a été publiée). Il faut dire que la science fiction était encore mal acceptée voici dix ans. Aujourd’hui la SF est mieux acceptée, mais ce sont les nouveaux auteurs qui en bénéficient.

Pour une grande partie de ces années, j’avais le soutien indéfectible de mes parents. Mon père savait trouver les bons mots pour m’aider à redevenir sereine, et à persévérer.

Une ou deux rares fois, un événement me ramenait au niveau du sol, puis je replonge. Ce n’est pas la gloire qui me manque, mais la joie de pouvoir partager mes histoires avec un grand nombre de personnes.

Le désavantage de l’artiste qui vieillit…

Puis, j’ai perdu mon père et grand fan. J’avais un peu honte de n’avoir pas fait de brillante carrière en ingénierie comme lui, mais finalement, je me suis rendue compte qu’il m’a toujours considérée comme égale en science.

Là, ça s’est dépeuplé autour de moi, et ma bonne maman, qui m’a aussi encouragée, lit moins qu’avant à cause du grand âge. Il reste mes sœurs et les plus jeunes dans la famille élargie, et mon mari et fan numéro un. Mes grands-parents? Je les ai eus très longtemps, une grande chance, mais eux aussi se sont envolés, et ne verront pas le fruit de leurs encouragements.

Presque tous mes profs du secondaire ne sont plus parmi nous. J’ai perdu un grand ami, prof de géographie et fan, l’an dernier, à 94 ans.

Ça vous dit l’âge de mon corps, ce que certains collègues me rappellent, soit par des commentaires sur mon apparence, soit par omission, comme dans cette circonstance. Ça vous dit que mon indice de « décolleté » baisse avec le temps. Je sais qu’aucun éditeur européen ne m’engagerait à mon âge pour dessiner une série à succès. Et même si j’étais cute, je m’en méfierais, avec toutes les occurrences de harcèlement des auteures de BD.

Mais qui récolte un brin de sérénité

Depuis que j’ai lancé ma propre maison d’édition, je ne suis plus à la remorque d’éditeurs de BD. Développer et contrôler toutes les étapes d’un projet me libère, même si mes livres surnagent dans un mer de publications.

Mais désormais, je suis contente pour les collègues qui obtiennent leur portion de couverture médiatique et récoltent la gloire dans la vingtaine, la trentaine… parce que ceux et celles qui ont toujours cru en leurs capacités, les professeurs, les parents et grands-parents, sont encore là pour partager leur fierté!


* 1991, pour être précise.