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Requiem pour une plume envolée

Le premier avril au matin, j’apprenais qu’une de mes collègues a été emportée par un cancer, la veille. Par les médias sociaux, et je me compte chanceuse de ne pas voir passer cette perte une semaine plus tard.

Nancy Kilpatrick écrivait de l’horreur vampirique, que je lis peu, mais je suivais sa lettre mensuelle. Elle y avait toujours de bonnes anecdotes historiques sur la signification des dates. J’ai goûté à sa plume, sa voix littéraire avec le premier roman des Trônes de sang (de l’horreur très « adulte », z’êtes prévenus!) lu en anglais sous le titre Revenge of the Vampir King. Je l’avais rencontrée en salon, et j’avais communiqué avec elle pendant la Covid, quand elle avait déménagé à Montréal. (Un hiver, elle avait du trouble avec son frigidaire, le chauffage, problèmes familiers…)

Nancy Kilpatrick, photo provenant de son site WordPress, crédits inconnus.

Donc voici deux jours, pouf! Plus de Nancy.

Sa plume s’est envolée.

Plus d’occasion de la voir aux salons. Ce n’était pas la plus âgée de mes consœurs-frères, mais ça me fait un petit pincement au cœur. Comme autrice de SF et parfois d’horreur, je garde une conscience aigue du temps qui passe. Impossible d’ignorer la grande horloge qui fait tic-tac, tic-tac.

Nancy n’a pas pipé mot sur sa santé, mais elle a cessé d’envoyer sa lettre mensuelle en juin 2024. Dans sa dernière lettre aux fans, elle écrivait : For a variety of reasons, I will not be sending a Newsletter out monthly.  I will send a more irregular Newsletter out when I have anything new to say or to promote something that you might find of interest. On peut retrouver ses lettres mensuelles archivées sur Mailchimp ici.

Quand j’étais plus jeune, je croyais, un peu naïvement, que les écrivains d’horreur n’avaient pas d’empathie. Eh bien je me gourais. On peut mesurer l’humanité et la maturité de Nancy Kilpatrick en lisant son blog, où dans le dernier article de 2020, elle partage la douleur de perdre une grande amie.

Au moins, Nancy Kilpatrick laisse bien des histoires derrière elle… Voir le catalogue de ses livres traduits en français chez ALIRE

Je partage ma tristesse avec vous mes fans et collègues, pour rappeler que vous comptez à mes yeux. Je ne vous prends par pour acquis, même si je ne vous parle pas tous les jours. J’apprécie et lis vos courriels (vous n’êtes pas des milliers, donc je peux me le permettre!) et je suis toujours contente de vous voir en personne aux événements où je me déplace.

Merci d’être encore ici. Si cet article vous touche, je suggère une action tout-de-suite-là, en sa mémoire : téléphonez à une personne que vous n’avez pas vue depuis longtemps. Ou envoyez-lui un courriel, comme une fleur.

Une rose jaune
Crédit photo: Pixabay

Un petit mot fait grand bien aux coeurs…

Framboises utopiques

Les pluies intermittentes ont accéléré le mûrissement de nos buissons de framboises. La savante folle doit délaisser l’écriture de ses romans de SF pour cueillir ces perles carmin!

Croyez-le ou non, j’ai récolté neuf pots de framboises congelées cette année.

Nourrir l’humanité?

Bien sûr que non, pas avec mon tout petit jardin!

Mais avec ces neuf contenants de margarine pleins de framboises, imaginez ce qu’on paierait à l’épicerie en hiver. C’est ma petite contribution à la résilience de notre maisonnée. Vive l’agriculture urbaine, si modeste soit-elle!

Quand je cueille n’importe quoi, des pommes en automne, des fraises, des baies de Saskatoon, des bleuets… l’auteure de science-fiction en moi songe à la générosité de la nature, et à la fragilité de notre société. Difficile de faire autrement avec l’état de la politique et du monde. J’ai écrit des dystopies sociales, dont ce roman chez David qui donne froid dans le dos avec ses prévisions.

Mais je préfère me projeter dans un ailleurs très lointain, et imaginer des sociétés différentes, plus utopiques, comme les Jardiniers de La quête de Chaaas.

Dystopie quand tu nous tiens

J’aime bien les films de SF dystopique comme les Mad Max à l’époque, très excitants, mais oh, que je suis consciente de la difficulté de reconstruire quand les gens se méfient les uns des autres, quand la nourriture et l’eau manquent. (Et je me demande où ils trouvent toute cette essence pour faire rouler leurs gros chars dans le désert!)

Pour produire une dystopie, on divise les gens pour mieux régner.

  • On détricote la cohésion sociale avec les médias contrôlés par une dizaine de super-riches qui s’auto- proclament « esprits libres »;
  • on monte des groupes les uns contre les autres;
  • on attise la haine comme un feu de camp, et on ne manque pas de bûches à brûler.
  • On tire des mots-boulets de canon comme woke (être réveillé.e c’est le mal!), parasites, fauteurs de trouble;
  • tout en retirant le maximum d’autonomie aux citoyens, réduits à des porte-monnaies.

Cueillir, un acte de contemplation

Cueillir sa nourriture avec lenteur, sans crainte, me semble une des bases du bonheur. Cueillir est un acte de contemplation. Cueillir cultive la patience, tellement aux antipodes du feu d’artifices d’excitation, ce bruit qui étouffe la pensée.

Je me pique les doigts beaucoup en allant attraper sous les feuilles, des fruits qui mûrissent en silence. L’effort particulier de cueillir des petits fruits me rapproche des paysannes qui font ces mêmes gestes dans des conditions beaucoup plus difficiles. Le dos, les genoux, les cuisses se barrent. Le cou fatigue car je me penche en un U inversé pour repérer les framboises prêtes.

Il faut savoir ne pas tirer trop fort. Être zen. Mettre juste assez de force pour détacher le fruit à point. S’il résiste, il faut patienter un peu. En ce moment au 3 juillet, les framboises mûrissent presque à vue d’oeil. On dirait que du Rubus idaeus sait quand un animal a dégarni ses branches, et les fruits restants se mettent à rougir plus vite.

Ces généreux buissons, une fois dégarnis, jaunissent et, leur devoir accompli, meurent, pendant que les nouvelles poussent s’étirent vers le ciel.

Les mots à cueillir

Dans la vie d’écriture et de création, je n’attends pas la muse, mais les résultats se font parfois attendre! Je jette des histoires à la mer et quelques unes surnagent, trouvent leur place sur un cargo ou un paquebot qui passe.

Je travaille ce printemps et cet été sur deux histoires, pour des publics différents. Et parfois je tombe en panne. Une intrigue manque de conflit, pour l’autre, l’information est difficile à trouver.

Alors quand je coince, rien de tel que cet acte si concret, si doux, de cueillir des petits fruits en attendant de cueillir des mots.

De l’influence méconnue de la musique de fond sur l’inspiration créatrice

Une aventure de Michèle l’écrivaine enthousiaste!

MICHÈLE est bien énervée ce soir, car elle a une tombée littéraire qui approche et son carrosse va se transformer en citrouille à minuit pile. Or, ses doigts s’emmêlent au clavier, elle avance, recule, efface, reprend sont texte, se rendant bien compte que son nombre de mots à la minute est en chute libre.  

Qu’à cela ne tienne, il existe une solution : recourir à sa douce moitié.

MICHÈLE : Giiiilles!

GILLES (occupé à détruire un royaume ennemi qui explose en mille couleurs sur l’écran incurvé de son ordi) : mmmh?

MICHÈLE : Il faut que je finisse cette nouvelle ce soir, pis je bloque! Ça s’passe à l’époque Romaine, t’aurais pas la musique de Gladiator par hasard?

GILLES sauve sa game et manipule avec habileté et doigté l’application qui gère nos systèmes de son. Il a un abonnement à un célèbre serveur de zizique (Spotify pour ne pas le nommer) qui ne nous a pas fait faux-bond depuis des lustres.

Bientôt, les premiers accords d’orchestre du célèbre film de 2000 flottent comme une bannière marquée SPQR dans le vent chaud du sud de l’Italie. Inspirée, MICHÈLE se remet à l’ouvrage, non sans imaginer le sculpturesque Russell Crowe dans le rôle titre.

Bref, elle écrit, écrit à la vitesse d’un écrivain « pulp » des années 40… Lesquels, les pôvres, tapaient  sur une machine à écrire même pas électrique, même pas de correcteur blanc, snif.

L’intrigue déploie ses ailes d’aigle romain par-dessus le paysage, la musique passe aux scènes d’arène de sable clair et les Ave Cesear, morituri te salutant, et les muscles bien huilés qui brillent au soleil… Les dangers s’accumulent pour son personnage, les péripéties déboulent comme la grosse roche sphérique de la caverne piégée dans le premier Indiana Jones.

Bref, MICHÈLE est en feu!

MICHÈLE : yessss!

D’un coup, les buccins impériaux de l’arène romaine où son héros se bat à coups de glaive s’effacent sous une rafale de notes de synthétiseur!

Des basses tonitruantes font trembler les fondations de la petite maison dans la banlieue où vit notre vaine écrivaine qui s’aperçoit que son gladiateur a quitté l’arène pour se ramasser ben strappé aux commandes d’un F-18 qui file à mach 2 dans un ciel céruléen (hein que c’est beau le vocabulaire!) En plus, son casque a morphé pis il ressemble étrangement à Tom Cruise…

MICHÈLE (qui tape frénétiquement control Z, control Z…): Gilles! T’as mis la musique de de Top Gun !

MICHÈLE : Kessé qui arrive à mon ambiance de Rome antique?

GILLES (qui vient de descendre avec son système de speaker portatif et son téléphone qui contrôle tout, tout, tout, à distance): Ah, c’est Hans Zimmer, le compositeur, il a fait les musiques des deux films.

Et GILLES de zigonner sur son téléphone mince comme une carte de crédit.

Subitement, une musique de pirate transforme le F-18 en Blue Pearl et son gladiateur-pilote en pirate abondamment barbu avec plein de colifichets qui pendent de cette masse capillaire.

MICHÈLE : Groogne!

GILLES (air innocent) : Ah ouiii, tiens, tu sais que Hans Zimmer a aussi composé la musique de Pirates des Caraïbes et de plus de cent autres films?

MICHÈLE sent la moutarde lui monter au nez. Elle lance un regard glaçant au mari qui regrette soudain d’avoir fini le pot de 2 L de Coaticook Special Edition au sirop d’érable voici dix minutes.

GILLES (qui sent la Coaticook Special Edition se retourner dans son estomac): vouiii, vi, je vais t’arranger ça ma tite-Michèle-en-chocolat-smouick!

Et reviennent les buccins et les tambours, et l’arène full sable trop blanc pour être du vrai. C’est pas parce que MICHÈLE écrit de la science fiction qu’elle ne peut pas se vautrer dans le drame historique de temps à autre.

MICHÈLE se dépêche de terminer sa nouvelle avant la tombée en se disant mais un peu tard qu’on ne l’y reprendrait plus. Enfin, elle met le point (poing?) final à ce texte, révise son orthograF, et sauve son document.

L’Internet a vraiment simplifié le processus de soumission, se dit-elle en pesant sur SEND.

MICHÈLE (levant les bras en l’air, triomphante dans l’arène de l’écriture): Technologie salvatrice!

MICHÈLE (se lève, s’étire, cric, crac, et se dirige vers la cuisine): Bon, je vais enfin pouvoir me récompenser avec une généreuse portion de Coaticook Special Edition au sirop d’érable que je conservais au congélateur pour cette occasion…

GILLES (très bas) : oupse.

GILLES se déguise en courant d’air et se précipite au dépanneur en espérant qu’il reste encore des pots du Special Edition

FIN

Mes paliers de concentration

(Bon, là il manque les bonbonnes d’air pis mon ordi, mais c’est à peu près l’idée)

Ceux et celles qui font de la plongée sous-marine (où qui ont, comme moi, regardé les documentaires du capitaine Cousteau quand ils étaient jeunes) savent qu’avant de remonter en surface, il faut faire des arrêts obligatoires pour permettre aux molécules d’azote de quitter les tissus dans lesquels elles s’étaient réfugiées en haute pression, pour retourner dans l’air expiré.

Sinon, l’azote peut décider de revirer en gaz pendant qu’il loge encore dans nos veines et nos cellules, et ‘c’est pas beau tout de suite’. Les accidents de décompression sont aussi dangereux que leur inverse, l’ivresse des profondeurs (la narcose de l’azote) qui se développe sournoisement quand on reste trop longtemps à 100 pieds de profondeur.

Plonger en eau profonde

Pour moi, écrire, c’est comme plonger en eau profonde.

Sauf que mes paliers de décompression sont en sens inverse ! Ça me prend du temps pour atteindre le niveau de concentration pour pénétrer dans une histoire. Des paliers de ‘compression’ ou de concentration….

Mon premier palier prend environ 45 minutes à une heure. je repasse sur ce que j.ai écrit la veille pour me remettre en tête l’histoire et son atmosphère, je vérifie des notions, des lieux, etc… Si j’écris 100 mots, c’est normal.

Au deuxième palier, qui me prend une heure, j’entre dans l’histoire, et je fais du 300-400 mots à l’heure.

Au troisième palier, tout devient magique: mes doigts épousent le clavier et les idées se transmutent en mots sans que j’ai à m’arrêter. J’ai l’impression que l’histoire s’écrit toute seule, et j’approche de 600-800 mots à l’heure.

Si je ne suis pas interrompue, j’atteins mon quatrième palier de concentration: l’histoire déboule comme une avalanche dans ma tête, les doigts et les mots roulent comme des billes. C’est le paradis. Je défonce les 1000 mots à l’heure. Souvent, c’est le soir que j’atteins ce palier, quand j’ai une tombée qui se rapproche.

MAIS… je descends rarement à ce 4e palier.

Ah, si mes paliers étaient aussi simples ! (Photo de Francesco Ungaro sur Pexels.com )

Les interruptions!

Par contre, pour remonter en surface, pas besoin de paliers.

Dès que mon mari enthousiaste vient me parler d’un truc qu’il a vu sur internet ou entendu à la radio, pouf! remontée immédiate. Si l’interruption dure moins d’une ou deux minutes, et que je n’ai pas à répondre à des questions, je peux replonger et traverser mes paliers de ‘concentration’ assez rapidement.

Hélas, c’est rarement le cas.

Surtout qu’une autre condition favorise mon retour rapide en profondeur: l’assurance que je ne serai PAS à nouveau dérangée dans les prochaines minutes !

Donc, il s’est passé 5 ou 10 minutes qui ont mangé ma concentration. Et, quand l’interruption achève, je dois replonger et refaire mes paliers. Et, souvent, à peine replongée, évidemment, c’est déjà l’heure du souper…

Confession

J’ai écrit cet article à partir d’un autre mésaventure littéraire: je taponnais joyeusement sur une super-histoire de science fiction qui se déroule en Antarctique, pom-pom-pom… quand d’un coup, un détail scientifique erroné me saute aux yeux. Ciel! Ai-je bien calculé la position du soleil sous l’horizon lors de la nuit polaire australe?

Remonte en surface, ouvre Internet, vérifie l’info, se laisse dériver sur les sites de Wikipédia, puis le site de la station Scott-Amundsen, s’amuse à regarder la web cam (il fait froid ici mais pas autant que là-bas) bref… Je perds du temps et intérieurement ça m’agace.

Et puis, voilà que je me torture: devrais-je changer ce paragraphe explicatif pour le placer plus près du début? Mais j’écris tricoté tellement serré que déplacer un paragraphe ou un mot exige de réécrire plusieurs autres. Et aussi, je reste en surface à jongler avec ces paragraphes!

Finalement, je suis allée prendre une marche pour me dégager les idées, en me disant qu’ici, c’est plus chaud qu’au pôle sud…